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26 juillet 2012 4 26 /07 /juillet /2012 18:39

 

 

Mesdames et Messieurs,


Habituellement, quand nos peintres sont décédés, leur famille se contentent d’emprunter quelques tableaux pour organiser une veillée artistique. Conscient de la situation, Patrick Wah répond  dès maintenant, à travers ce Rétrospectif, lequel représente le bilan de ses réalisations.


Ainsi, Rétrospectif représente la convergence d’un double voyage. D’un côté, il s’agit de remonter le temps pour dégager les moments de grandes réalisations ; d’un autre côté,  il s’agit de précéder le destin pour conjurer l’irrévérence, l’ingratitude réservées habituellement aux artistes disparus.

 

 

 

Né à Port-au-Prince en 1957, fils de Marcel Wah et de Immacula Raphaël, Patrick Wah a grandi à la Rue du Peuple. A noter que son grand père paternel était Chinois, celui qui a légué le nom. Ces petits détails aident à comprendre le style du peintre, l’origine de cette chinoiserie qui hante sa  peinture. Je parle de l’absence volontaire de perspective, comme dans la peinture chinoise.


Les origines ne se confinent pas aux parents :  leur profession, leur statut social et leur réputation. Elles incluent aussi, l’environnement,  les rencontres et les institutions fréquentées.


Critiques et historiens accordent de grandes attentions à ces détails, lesquels les permettent de cerner le style des grands maîtres et les mouvements artistiques. On ne peut pas se contenter d’admirer une œuvre, comme une paire de chaussures ou un meuble. Les experts cherchent à comprendre l’ensemble des phénomènes qui ont contribué au développement artistique des créateurs. Cette perception, représente l’essentiel de l’étude des Beaux-arts, une approche savante et méthodique de la peinture, de la sculpture et de l’architecture.


Parlons de milieu, le sociologue, Jean-Jacques Rousseau déclare que « l’homme est le produit de son milieu ». Nous devons investir la Rue du Peuple pour retrouver l’ensemble des facteurs qui ont façonné la personnalité de Patrick Wah.


Étant moi-même port-au-princien, né à la rue du Centre, un bloc de la Rue du Peuple en partant de là vers la mer, je profite pour vous décrire l’ambiance de la ville, la chaleur qui embrasait le cœur des citadins.


D’abord, chaque quartier avait sa salle de cinéma, quand la ville ne comptait que 150.000 âmes. Les voisins qui se côtoyaient depuis des générations formaient une grande famille. On mangeait et dormait en voisinage. Café, le matin, nourriture, à midi traversaient les clôtures. D’ailleurs, à chaque bloc, habitaient un cousin, une cousine, un oncle une tante, un condisciple ou un ami de la famille. Coucher, manger chez soi ou en voisinage ne revêtaient aucune différence.


Un artiste qui s’est pataugé de très tôt dans cette convivialité, ne peut pas être mélancolique, mais jovial, jovial comme la statue de Madame qui surplombe la rue du Peuple. 


Voici en gros, le milieu dans lequel Patrick a grandi. Port-au-Prince, une ville ancienne aux toitures d’ardoise. Les maisons séculaires en bois comportaient une galerie, la porte d’entrée présentaient une persienne, de petites lames de bois mobiles, placées à l’horizontal et qui laissaient passer au gré la lumière du jour.

 

 


Patrick argue que le salon familial était un lieu de rencontre fraternelle. Parmi les habitués figuraient : Néhémie Jean, Luckner Lazare, Calixte Henry, Dieudonné Cédor, Emmanuel Pierre Charles, Etzer Charles, Rose Marie Déruisseau, Enguerrand et Dégroucel Gourgue, Éric Girault, Jean Louis Sénatus, Carol et Jean Théard, Pierre Monozier, Wilfrid Louis. 


Patrick  déclara : « J’ai eu le privilège de patauger dans l’areine des plus grands peintres de mon temps.  je n’ai pas fréquenté des ateliers d’apprentissage. Je suis le produit de l’école buissonnière. Je passais un mois à observer ce peintre, l’autre mois chez un autre artiste avant d’atteindre la maturité.»


Père Wah, déconseillait à Patrick de s’adonne à la peinture. A son avis,  son fils  devrait se consacrer aux études classiques.


Neveu de Bernard, Patrick a fréquenté L’école Cœur de Jésus et Les Frères Jean Marie Guilloux. En secondaire, il s’est inscrit au Collège Frank Etienne et Gérard Gourgues. Comme vous le voyez, Patrick ne recevait pas seulement chez lui les sommités de l’art haïtien, il a eu l’opportunité de se former sous la supervision de deux grands directeurs, des hommes qui en politique et en culture ont dominé la scène nationale pendant plus d’un demi siècle.


Gérard Gourges présidait la Ligue des droits humains avant de devenir membre du conseil de gouvernement en 1986. Militant pour la justice, condamnant l’injustice, il demeure une référence nationale.


Ancien Ministre de la culture du gouvernement de transition dans lequel Gourgues a servi, Frank Etienne avait pris l’habitude de distribuer gratuitement ses recueils de poèmes à ses élèves. Ces derniers ont eu aussi le privilège de jouer certaines pièces théâtrales écrites par leur directeur.

 


 

A l’époque, à Port-au-Prince, les nuits étaient animées de sérénades. Les guitaristes jouaient dans les places publiques, dans les salons et sous la fenêtre des jeunes filles. En fin de semaine, on jouait des pièces de théâtre dans tous les recoins des quartiers. Penchées sur les balustres, les poètes déclamaient leurs vers. Prenant part à cette activité de quartier, Patrick s’accrochait à son pinceau.


« Au début, il n’était pas de mes intensions de me lancer dans la peinture, » dit-il.  « L’activité était plutôt un amusement de quartier en compagnie de mes cousins et mes amis, en l’occurrence,  Lucien Laguerre, Jacques Denisard,  Gary Joseph, Jonas Allen, Casimir Edwige, Énoch Avril et Max André. »


Un jour Marcel Wah, plaça un tableau de Patrick dans sa galerie. Un touriste arriva, saisit l’œuvre. Le père répond que le tableau est celui de son fils et n’est pas à vendre. Avant de partir, l’étranger donne $50 au père en disant : « remettez cette somme à ton fils pour l’encourage dans son ouvrage ».


Ainsi, en 1977, après avoir assisté à l’exposition de Lionel Lorenceau à l’hôtel Le Village, au Bicentenaire, voyant que l’hôte réclamait $5000 pour un 16x20, quand il vendait le sien à $20, debout devant l’hôtel, Patrick souhaitait qu’un jour il pourrait demander $7000 pour une dimension similaire.

 


 

Patrick Wah est entré aux États-Unis le 11 septembre 1978 à l’âge de vingt ans. Arrivé à destination, il évoluait au sein de l’intelligentsia haïtienne expatriée :  Jean Prophète, Cito Cavé, Max Kénol, Dany Laférrière, Daniel Uhitino, Janine Tavernier, Jho Tony Moïse dit Ti-Tonton, Villard Denis dit Davertige, Raymond et Léo Joseph, Roland Morisseau, Morisseau Leroy, Fritz Clermont, Rasule Labuchin, Hervé Denis, François Latour, Bernard Wah, Anthony Phelps, Gérard Camfort, Jean Max Calvin, Henry Dubreuil, Claude Dambreville,  Enock Hyacinth, Willy Enriquez, Jacques Édouard Alexis, Emmanuel Charlemagne, Raphael Denis, Fritz et Denise Kénol.

 

Au pays, il fréquentait Jean René Jérôme, Oblin Jolicoeur, Ludovic Booz et Liliane Mathurin.


A New York, Patrick n’avait plus d’engouement pour la peinture,  scrutais d’autres horizons, tels que la décoration intérieure. Finalement, ses nouveaux amis l’ont ramené au chevalier. Ainsi, sans le concours, de Mona Lisa Tibule, Dominique Volcy, Reynolds Rolls, Fritz Édouard Joseph, Raphael Denis, Raymond Joseph, Flavange Valcyn dit Valcyn II et Pierre Clitendre, cette soirée ne serait pas possible. Notre hôte se serait retrouve dans l’une des secteurs suivants : sécurité, santé, économie, construction, qui sait, politique.


Patrick s’exprime : « Mon premier tableau vendu à New York était un 48x72. J’ai demandé un rouleau de tissu lin et $3000 au docteur M. G.  pour lui céder l’œuvre. Il m’a méprisé. Quelques jours après, ce même docteur a fait l’acquisition d’une maison en Floride en avançant $22.000. Sur le chemin du retour pour New York, sa femme lui dit que le tableau de Patrick Wah conviendrait au salon. Un jour, j’ai rencontré le Docteur au restaurant Brasserie créole, à Queens. A table, il m’a rapporté les suggestions de sa femme. Je lui ai demandé combien il a avancé sur la maison de Floride ?  Il m’a dit $22.000. Je lui ai dit que je demande autant pour mon tableau. Trois mois plus tard, en présence de Wildor Sabat, Emmanuel Dostaly et Hugues Tassi, j’ai vendu mon 48X72 pour le prix demandé, au Docteur Fronel Alerte, qui habite actuellement aux Jamaica Estates.»


Après cette vente, le succès de Patrick ne fait que culminer. Certains de ses tableaux ornent les murs des Nations Unies à New York, d’autres font partie de collections privées.


Récemment, Vincent Price Museum de Californie a placé l’un des tableaux de Patrick Wah dans sa collection. Peinte en 1978, vendu à 25 Gdes, Tête de femme, comme son nom l’indique représente une tête de femme au cou démesuré avec un mouchoir rouge sur la tête aussi bien qu’un corsage de la même couleur. Le mouchoir représente le motif principal, symbolise la victoire, le reste est caricaturé. Pourquoi le peintre a-t-il emprunté un cou de héron à sa créature?


Évidemment, pour les critiques américains, qui sont peu familiarisés avec l’Olympe vodouesque, la couleur et la tête constituent des éléments secondaires. Ils concentrent leur attention sur le cou démesuré où réside selon eux la substance de l’œuvre. Ils se contentent de dire que l’œuvre émane d’une sagesse. En effet, Tête de femme est grande par son mystère.  On peut ne pas constater qu’il s’agit de la représentation d’une géante voire d’une divinité. Comme La Joconde de Michelange, Tête de femme est sujet à mille interprétations. Mais, moi personnellement, je crois que les critiques l’ont associée inconsciemment au féminisme, une idéologie moderne, déformation de la femme laquelle n’est plus une rose parfumée, mais une épine monstrueuse.


En 1992 Patrick a ouvert le Wapage Studio, lequel a accueilli le vernissage des peintres suivants : François Édouard, Élie Lescot Fils, Frénal Mézillas, Yvon Pierre-Louis dit Pilou, Shubert Denis, Frantz Coulange, Henriquez Crosley dit Croshen, Dr Jean Eddy Moïse, Klebert Obas, Colette Jacques, Hugues Tassi, Joseph Fatal, Jean Dulcio, Edward Wah, Jean Marcel Wah, Edgard Wah, Ricardo et Ernest Domond.

 

Rétrospectif ne symbolise pas la fin de la carrière de Patrick Wah, mais son apogée, après avoir exploré les confins des couleurs et la matrice des formes, pour donner ensuite une nouvelle dimension à sa peinture. Atteignant ce carrefour, le peintre va changer de direction, car la carrière de tout créateur est divisée en périodes, changement radical de style, effet de l’âge ou séquelles de grands événements.

Rétrospectif symbolise une étape importante, le point de non retour dans la carrière de Patrick Wah, en route pour l’immortalité.

 

 

A travers le récit de Patrick,  j’ai appris que Haïti a perdu son intelligentsia ; Port-au-Prince, ses quartiers ; la nation, ses grandes familles. Quelle fin pour la musique, la littérature, la peinture, la culture en générale. J’ai dit quelle fin, car notre peinture est unique au monde. Antillais et Africains imitent notre modèle musical, en l’occurrence, le Compas. En outre, les pages de nos écrivains émigrés, représentent l’essentiel de la littérature québécoise.


Après le séisme de janvier 2010, Port-au-Prince, Capitale politique, culturelle, académique et commerciale s’est réduit en ruine, les beaux magasins du centre ville sont fermés, des bandits armés contrôlent la Rue du Peuple, des bidonvilles encerclent la Capitale, les égouts sont regorgés d’immondices, le Camp de Mars s’est transformé en village de haillons. 


Le Musée national et le Centre d’art se sont effondrés. Face au désastre du Camps de Mars, le Musée d’art du Collège Saint Pierre à choisi de fermer ses portes pour faire place aux toilettes publiques.


On ne peut pas se contenter de s’apitoyer sur le sort du pays sans mener quelques vaillantes batailles. Au pays ou à l’étranger, nous devons nous organiser pour faire triompher l’élitisme quand le populisme s’est embourbé dans ses propres destructions.

Rétrospectif est une forme de représailles culturelles, face à l’effondrement d’une grande nation. L’esprit qui anime cette soirée ne doit pas retourner dans son royaume. Je l’invite à séjourner à Port-au-Prince pour participer à la Reconstruction.


Il nous faut des musées, des salles de théâtre, des conservatoires de musique, des kiosques, des bibliothèques et des écoles de danse. Comme autrefois, les musiciens doivent animer les places publiques, pendant que les fanfares sillonnent nos rues. Les poètes doivent pouvoir déclamer pendant que les peintres décorent les murs de la ville.

« Ils repousseront par les racines », disait Toussaint Louverture. Je crois que nous pouvons entrer en possession de ce paradis perdu, l’Haïti d’autrefois. Mais, chacun doit jouer sa partition, car, le salut national réside dans l’humanisme de ses citoyens.

 

Merci

 

 

Rony Blain

Écrivain, critique d’art

blainrony@yahoo.com

 

New York le 27 juillet 2012

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