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6 juillet 2021 2 06 /07 /juillet /2021 04:49

ORAISON FUNÈBRE DE MARIE ANTOINETTE DUCLAIR

La mort de Marie Antoinette Duclair interpelle la nation. La victime était l’une des rares femmes, je dirai l’unique à s’engager profondément dans la bataille pour le changement.

Je ne sais comment son existence a pu passer inaperçue, quand j’essaie de contacter tous les directeurs d’opinion du pays. Je l’ai vue sur le Net à travers des causeries. A première vue, j’ai pu détecter son intégrité et sa détermination. Sincèrement, jusqu’au dernier jour, je ne connaissais pas son nom.

Après son assassinat, j’ai vu son visage dans la presse haïtienne,  mais c’est la presse arabe qui m’a révélé son identité qui embaumait toutes les salles de nouvelles de la planète, de l’orient à l’occident.

Il fut un temps Haïti était debout, on n’arrêtait pas les femmes. L’Armée n’était pas autorisée à transgresser les foyers pour procéder à des arrestations illégales parce que la femme de la maison se tenait à la porte d’entrée. L’histoire rapporta que pour exécuter Jeanne Pelé accusée d’anthropophagie, il a fallu la travestir en homme.

Hier soir, on a abattu une femme comme un chien. On ne lui reproche qu’une faute : sa sincérité.

Cette pratique d’élimination physique a commencé officiellement en 1957, quand un fou qui croyait être le sauveur de la nation, s’était mis à tuer, exiler, torturer. Malheureusement, jusqu’à nos jours, les familles haïtiennes n’ont pas cessé de pleurer.

De Jeanne Pelé à Marie Antoinette Duclair, nous sommes en mesure d´évaluer avec certitude l’ampleur de la déchéance nationale.

La morale haïtienne est érodée. La solution nationale peut ne pas être strictement politique. Il faut trouver la cause qui rend le peuple indifférent, insensible, égoïste, égocentrique, individualiste.

La majorité silencieuse serait à la base de tous nos malheurs. Au lieu de se montrer, elle préfère se cacher. Au lieu d’intervenir, elle préfère quitter le pays.

Ce groupe croît que tout doit être conforme à ses caprices. Il lui est impossible de concevoir l’existence de l’autre, car il n’a aucune notion du collectif. Il a appris à vivre de faveur et des opportunités qui passent devant lui.

En un mot, la devise de la majorité silencieuse est celle-ci : le silence engendre la fortune. C’est-à-dire, elle ignore sa potentialité parce qu’elle est orientée vers le gain.

Au fond, la majorité silencieuse ressemble à ce bosquet qui cache les plus vilaines vipères. Elle agit dans l’organisme social comme un poison lent.

Nous sommes victimes de l’esprit de sabotage que répandent ces complices du crime.

La majorité silencieuse se définit par l’ensemble des citoyens dont la voix représente un atout dans le mouvement de changement, mais qui a refusé d’apporter sa pierre à l’édifice d’un nouvel État. Selon elle, tout ce qui se fait en dehors de sa juridiction représente une menace pour son existence.

Pour détourner la majorité silencieuse de ces vices. Il faut s’attaquer à ses intérêts.

Oui ! Nous avons atteint un carrefour où la majorité silencieuse doit agir ou disparaître.

Quand cet animal s’est vu déposséder de ses privilèges, il sera obligé de réagir dans le sens du bien-être collectif pour prendre le chemin des barricades.

Notre dossier politique doit être remis à la psychologie haïtienne. Il revient à cette branche d’avancer les causes du blocage, du sabotage, mais surtout l’attitude de la majorité silencieuse.

Deux cent seize ans après, on continue d’assassiner Dessalines.

Malgré les exactions actuelles, je suis incapable de condamner le banditisme.

Le banditisme n’a pas inventé le banditisme. Il doit y avoir des antécédents, des ramifications, des adjonctions qu’il ne faut pas ignorer.

Faut-il inscrire l’instabilité nationale dans la catégorie de « Lutte des classes » ?

La « lutte des classes » est plus conforme à l’Europe de l’avant guerre, quand le spectre des institutions féodales transpiraient dans la toile révolutionnaire.

L’approche de la crise politique haïtienne doit être plus spécifique et mieux focalisée. La crise doit être perçue et interprétée à la lumière des événements historiques qui l’ont façonnée.

Je refuse de définir les classes sociales haïtiennes qui sont devenues à mes yeux des charniers vivants.

Pour ne pas aliéner mes lecteurs, je ne vais pas considérer les événements déterminants comme la Traite des noirs, le Règne des mulâtres après l’indépendance nationale, ni la Révolution 1946 qui a parrainé l’intégration des noirs dans le secteur public. Nous devons partir de l’événement le plus proche, soit la Révolution de 1986, pour ausculter les blessures de la rupture et la gravité de la cassure.

Les Duvalier qui ont régné pendant trente ans, avait interrompu l’évolution naturelle du monde de la politique haïtienne. Les exilés ont laissé le pays avec leur savoir, leur finesse, leur évolution et leur secret. Arrivé à 1986, le pays avait déjà perdu au moins trois générations de citoyens. Ainsi, le vide ajouté à la carence ont engendré la faillite actuelle.

Les « contradictions internes » de notre système politique mêlées à « l’antagonisme d’intérêt » nous ont poussé vers l’effondrement.

En 2003, quand j’ai entamé la rédaction du GUIDE LA REFORME HAÏTIENNE, j’avais en face de moi, le Gouvernement de Jean Bertrand Aristide qui avait échoué dans ses promesses. Quelques mois plus tard, celui de Boniface Alexandre s’est introduit assisté du Premier Ministre, Gérard Latortue, symbole de la faillite technocratique haïtienne. Mais, René Préval qui aurait dû être  notre planche de salut, nous légua Michel Martelly avec pour valet de pied Jovenel Moïse.

Nous avons perdu le sens d’orientation et la notion de discipline. Les dirigeants sont incultes, les fonctionnaires sont indisciplinés, l’état est déficitaire.

Le vide a permis à l’oligarchie de se renforcer, à l’impérialisme de s’étendre, et aux fils de paysans de s’imposer. Il faut comprendre que parmi les protagonistes, personne ne représente l’intérêt de la nation.

La nation a déjà vaincu son ennemi le plus puissant, il s’agit de l’Opposition traditionnelle, les rapaces d’autrefois. Il nous reste à broyer le Pouvoir.

Le nouvel État ne peut être qu’une révolution conçue pour préserver la souveraineté nationale.

La société haïtienne doit plébisciter le « Projet du nouvel État », avant de déclencher une « mobilisation générale ». Le Plan doit trouver des promoteurs dont la mission serait de vendre le Projet à la rue haïtienne, les jeunes, les humbles et tout citoyen bloqué dans son ascension par faute d’opportunité.

Personne ne sait pourquoi nos émigrés n’interviennent pas pour rectifier les contradictions ou compenser les failles.

Il arrive que l’émigration est édifiée sur la contradiction. Ce qui signifie que les problèmes connus en Haïti ressurgissent à l’étranger.

Avec l’émigré quand on parle d’Haïti, il parle de son lieu de travail, quand on parle des déplacés de Martissant, il parle de ses prochaines vacances, quand on parle du massacre de Delmas, il parle de la communion de son enfant.

En 2019, les manifestations de rue avaient réclamé un nouveau modèle d’État. Mais, la presse et l’intelligentsia ont pris soin d’étouffer le mouvement.

Actuellement, les journalistes ont reçu l’ordre de ne pas informer le public. Les bandits ont reçu l’ordre de bloquer les rues de la Capitale. L’un embaume le corps, l’autre assassine l’esprit. Entre le crime du sang et le crime de l’encre, lequel est plus cruel ?

Les promoteurs du « Projet du Nouvel État » doivent s’organiser sur le Net, pour agir efficacement et sans trop s’exposer. 

Fallait-il un sacrifice expiatoire pour éveiller ce peuple amorphe, étourdi, sourd, aveugle ?

Nous devons avoir le courage de dire que nous avons assassiné cette femme, en la laissant se battre seule contre le banditisme, l’injustice, l’exploitation, la cruauté.

Malgré son courage, elle était impuissante face au Pouvoir, davantage face à l’indifférence populaire. Elle pouvait tenir encore quelques mois voire des années face au banditisme mais s’est finalement effondrée face à onze millions de citoyens qui fuient leurs responsabilités patriotiques.

Oui ! Du sang va couler car le sang doit couler. C’est tout ce qui reste à faire et qui doit être fait.

La victime ne doit pas pénétrer seule dans le tombeau. Elle doit entraîner aux entrailles de la terre, les tueurs à gage qui nous gouvernent, les faux prophètes qui nous induisent en erreur, les grands patriotes qui nous poignardent au dos.

Avez-vous vu la couleur de sa peau, le style de ses cheveux, son nom de famille ? C’est sur la base de l’affinité qu’il faut mener votre combat.

Je peux même ajouter que en Haïti, on ne tue pas les vagabonds, les ignorants, les lâches, les traîtres, les saboteurs, les comploteurs, les apatrides. Voilà pourquoi, nos lettrés n’ont rien à craindre.

Les lâches dénoncent, les preux agissent.

Si on refuser de casser la machine à tuer, il faut se contenter de dénombrer les cadavres.

 

J’ai appris ce matin que la famille de Marie Antoinette Duclair habite la quatrième maison après la mienne et celle de Diego Charles, à un bloc. Je me sens concerner, parce que l’insécurité se rapproche de moi comme elle se rapproche de vous.

En outre, la mère des victimes ressemble à la mienne, mes tantes et mes sœurs, par extension aux autres. C’est à travers cette similitude que j’embrasse le drame, je définis l’horreur.

Le pays est dans cet état déplorable, parce que les femmes brillent par leur absence. Non seulement, elles pondent des imbéciles, elles n’encouragent pas les hommes à gravir.

Il faut partir de ce fait pour pouvoir apprécier le degré d’héroïsme de la victime.

Si elle était le sommet de sa famille, on a détruit un rêve. Si elle était un rêve, on a détruit une génération.

Marie Antoinette Duclair se tenait aux antipodes de la presse nationale assassine qui pratique l’ostracisme en étouffant le mouvement de changement et en commanditant la suprématie du banditisme.

Si nos rares lettrés refusent d’orienter la rue écumante, il est temps pour la jeunesse haïtienne de ramasser son caractère, pour faire de cette goutte de sang, le dernier qui fait déborder la coupe du changement, qui jette le pont du développement, qui ouvre la voie du progrès, qui nous oriente vers une sortie de crise.

Si laisser le pays s’apparente à l’unique solution, pourquoi nos émigrés ne proposent pas la solution ?

Tout ce que je peux dire, c’est que après de longues années d’observations, j’ai fini par comprendre que Haïti n’a pas un problème de dirigeants, mais un problème de citoyens.

J’espère que le torrent de sang de la victime est assez suffisant pour laver notre cécité, pour panser notre surdité, pour guérir notre paralysie. 

Marie Antoinette Duclair a donné sa vie pour la cause. Maintenant qu’allons-nous faire ?

L’heure invite à la vengeance, en rasant nos institutions déficitaires pour édifier un nouvel État.

 

SIT TIBI TERRA LEVIS

 

Rony Blain

Initiateur de la Nouvelle opposition nationale

Auteur du Guide de la réforme haïtienne

New York, le 4 juillet 2021

blainrony@yahoo.com

 

 

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