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2 février 2020 7 02 /02 /février /2020 01:41

 

 

A JULES RICLES

 

 

New York, le 29 janvier 2020

 

Je vous remercie de m’avoir fait parvenir vos commentaires sur le document intitulé « Conseil de gouvernement de transition » que vous avez reçu. Il s’agit de la liste de personnalités appelées au chevet de la nation en vue de forger une sortie de crise.

 

Vous avez déclaré : <<Je n’aime pas cette proposition de noms. Il y a trop d’anguilles parmi eux. >>

 

Comme je l’ai déjà dit, je ne suis pas un novice de la politique haïtienne. Fils d’un ancien haut fonctionnaire d’état, cette tragédie ne m’est pas inconnue. Grandi à la lueur des idéaux de la révolution de 1946, je suis en mesure de saisir l’angle du progrès et l’envergure des défaites.

 

En outre, diplômé en politique, l’école m’a légué une formation qui me permet de me situer dans la vie. Je suis armé pour défendre ma dignité aussi bien qu’une noble cause à la hauteur de mes ambitions et mes moyens.

 

Malheureusement, nous n’avons pas ce modèle d’éducation au pays. Nos universités sont de grands cours d’eau qui nous jettent sur le pavé. Elles sont à l’image de nos hôpitaux en état de mort clinique.

 

La politique haïtienne, par la façon dont elle est menée, incite les citoyens à partir, aux émigrés à s’exiler, aux exilés à se tuer. Nous vivons cette  situation de blocage aussi à l’étranger. Vos cris de douleurs effleurent notre peau, vos difficultés s’enroulent dans nos sommeils : l’âme haïtienne agonise. Finalement, toutes les nouvelles qui nous parviennent sont mauvaises.

 

Constatant de l’échec de la révolution de 1987, j’examine le dossier national depuis plus de vingt ans. Je pense qu’il est possible de réaliser une autre, plus grande et plus progressiste, pareille à celle de 1946.

 

Je sais exactement ce qu’il faut enlever et ce qu’il faut ajouter. En 1986, personne ne pouvait prévoir les dérives futures soit le danger actuel. Malheureusement, la nation est prête à réitérer ses erreurs.

 

Lors des dernières manifestations,  la population a envahi la rue comme un fleuve, mais difficilement canalisable.

 

Je ne dispose pas de ressources nécessaires pour structurer le secteur du changement que je convoite depuis 2007. Le coût de l’opération devrait être assigné aux bénéficiaires, eux-mêmes. Et là encore, cette entreprise exige une logistique exorbitante.

 

Dans la période de 1956, Daniel Fignolé, candidat à la présidence, un jour, plaça une barrique au coin d’une rue, puis se présenta à la radio pour demander à la population de l’aider à payer sa facture d’essence pour se rendre en province. Au bout de quelques heures, la barrique était déjà remplie.

 

La rue est assez éclairée pour s’organiser même quand la presse nationale s’érige contre la nation. Qui l’aurait cru, notre presse est devenue une institution totalitaire.

 

On dirait que tous les imbéciles du pays ont un microphone à leur disposition. Ce tintamarre brouille le débat national, déloge le bon sens. Ainsi, il est impossible de véhiculer des messages salutaires ni de guider la nation. 

 

Tous les moyens modernes ont été mis à notre disposition, mais nous ne faisons que régresser.

 

Je constate avec consternation que nous sommes incapables d’utiliser le Net pour notre développement. Notre jeunesse est totalement vide, dépourvue, je dirais même dévoyée.

 

Nos rares directeurs du Net sont méticuleusement laids, efficacement médiocres.

 

Le manque de caractère affecte nos facultés. Beaucoup de grands intellectuels  se sont fourvoyés parce que la raison ne suffit pas pour leur guider sur le droit chemin. Il faut aussi un peu d’amour-propre, le sens de l’honneur et d’autres vertus qui distinguent l’homme de l’animal.

 

Conscient de mes habilités, je passe huit heures par jour à  écrire. Pensant que la lumière que j’invoque pourrait pénétrer l’armure des forces occultes qui nous étrangle.

 

Entre 2007 et 2009, quand j’étais en visite au pays, je passais des journées entières au Champ de Mars, pour intenter un dernier procès contre le « système ». Je jetais des tracts mais je ne voyais aucune larme de révolte dans les caractères. Lors d’une rencontre à la radio Méga Star, j’ai fait passer des tracts aux autres invités. Le Colonel Rébu, qui siégeait en face cria dans le microphone : « Non ! Je ne veux pas de chambardement. » Puis, il se leva dans un tourbillon de contrariétés. Trois moins plus tard, il prôna la destitution de René Préval.

 

Pouvez-vous imaginer que notre pays dispose des réformes agraire, sanitaire et académique depuis plus de dix. Personne ne se sent concerner : ni lettrés ni malades tandis que la province investit la Capitale. On se demande parfois si le pays compte des citoyens raisonnables.

 

Il est triste de voir mourir un malade tandis qu’il existe de cure. Si ce n’est de la malveillance ou de l’ignorance, c’est justement un crime.

 

Les réformes proposent de rectifier toutes les contradictions de notre système politique. Mais, avant, il faut une transition menée par des personnalités qui connaissent le terrain. Il faut associer la théorie à la pratique, autrement, on invite le fiasco.

 

Cette liste, en l’occurrence, le Conseil de gouvernement de transition, transcende la solution, dans la mesure qu’elle est inclusive. Toutes les parties impliquées sont représentées à l’exemption des indécrottables à qui il faut verser une forme de compensation. 

 

L’autre coté positif de l’initiative, c’est qu’elle ne contient pas le nom de mes voisins, de mes condisciples, de mes amis ni des membres de ma famille. J’ai mis à mort l’esprit clanique.

 

Pour faire taire vos inquiétudes et inviter votre quiétude, normalement, les membres de l’équipe de transition seront subordonnés par des règlements qui les empêcheront de faire échouer le processus. Une instance populaire sera créée pour accompagner la transition. A la moindre alerte, elle interviendra pour sévir le sabotage.

 

Haïti est en train de disparaître. Quatre-vingt-dix pourcent de la population vivent dans la précarité. Nous nous replions derrière les façades dont le moindre ouragan pourra emporter.

 

La nation toute entière s’est réfugiée dans un trou. Il faut élever le caractère pour pouvoir en sortir. Malheureusement, certains continuent de baisser la tête parce qu’il y a un dernier morceau de pain et de fromage qui échappent à leur appétit.

 

Face à la situation actuelle, enlèvement, insécurité, inflation, insalubrité, obscurité et autres précarités, nous sommes devenus malgré nous un peuple sauvage.

 

Le plus intrigant, c’est le comportement masochiste de la majorité silencieuse. On lui coupe les bras, on lui crève les yeux, elle n’a poussé cri.

 

Nous devons signer le plus vite que possible un pacte d’engagement autour du DOSSIER DE LA TRANSITION. C’est là que vous devez vous montrer utile en présentant mes écrits à vos voisins, en les divulguant sur le Net pour annoncer que l’espoir gît à l’horizon.

 

Le changement commence par l’attitude, par l’opinion avant de façonner nos actions.

 

Né sous une dictature, c’est le jour de son effondrement que j’ai pu me situer. Ainsi, je comprends exactement ce qui arrive à la population. Même quand elle se manifeste, elle ne sait pas où elle met réellement les pieds. L’injustice l’exaspère mais la réalité lui échappe. Il faut une agressive CAMPAGNE D’ALPHABÉTISATION POLITIQUE pour canaliser le mouvement de changement dans la bonne direction. C’est au niveau du relais des informations que le combat piétine. Dans notre milieu conservateur, on empêche aux nouveaux acteurs d’intégrer la scène nationale.

 

Les propositions de réforme existent, les pressions des rues bouillonnent. Ces deux bouts sont encore disjoints à cause d’un problème de communication. Ce dernier point mérite certaine attention. Une nouvelle instance, les authentiques alliés du peuple, doivent balayer l’opposition traditionnelle de la scène nationale pour faciliter le changement.

 

Conscient d’être l’unique citoyen dont les idées peuvent influencer les événements, je me suis fait le devoir de remettre tous mes écrits politiques au secteur diplomatique de la Capitale.

 

La présence de quelques éléments douteux dans le « Conseil de gouvernement de transition »  ne suffit pas pour discréditer cette noble entreprise. D’ailleurs, dans une transition, tous les sièges sont injectables.

 

La politique est un monde inconnu qui abrite des monstres méconnus. En ce sens, il vaut mieux avoir affaire à des prostituées qu’à des vierges.

 

Autant que la mer existe, il y aura des anguilles. Autant que la forêt existe, il y aura des loups. Autant que le pouvoir existe, il y aura des caméléons.

 

 

Mes salutations.

 

 

Rony Blain

 

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